Livre de Bruce 10
Nous passions à des choses moins importantes. Tonton sorti même une bouteille de whisky de la guerre de 14 -18, quel vieux grigou. Puis il nous installa dans la seule pièce disponible. Nous devinrent amants, sans l’emprise du Whisky je serais partie dehors, ce fût délicieux, un avant goût du paradis. Je décidais de suivre Bruce jusqu’au bout du monde mais je ne savais pas que je n’avais que quelques mois à vivre, en tout les cas je ne regrette nullement mon geste. Ce fût trois mois de bonheur, nous étions liés d’âme, de cœur et de corps, c’était le plus grand bonheur qu’il puisse être sur terre.
Nous avions donc décidés de rencontrer Ma Ananda Moyi, mais ce n’était pas chose aisée, en effet la sainte ne restait que quelques jours au même endroit puis repartait, son lieu de destination future n’était connu que d’elle-même, de plus il était très difficile pour un étranger de la rencontrer; enfin par hasard, si le hasard existe. Ma Ananda Moyi attendait en fait le visiteur qui venait par « hasard », un dénommé Jean Hébert l’avait ainsi rencontré, puis un dénommé Arnaud Desjardins plus tard.
Je ne savais pas où aller, et je devais servir de guide.
Bruce me dit « allons à Madras » elle y sera dans exactement trois semaines. J’étais un peu vexé d’autant plus que j’avais rencontré Ma en 1932 et en 1938. Ma s’approchait de la cinquantaine et elle avait été une très belle femme. Ce qui frappait c’était son regard, quand elle fermait les yeux c’était ses mains fines et assez grandes qui contrastaient avec la petitesse de ses pieds, Cela aurait pu être une excellente danseuse indienne. Ma pratiquait plutôt la danse invisible, la danse de Shiva. Je me souviens qu’en 1938 aussitôt que j’avais pensé cela elle ouvrit les yeux et effectua plusieurs Mudras.
« Toi aussi tu aurais pu être danseuse et tracer l’invisible dans le visible. »
Nous voici partis pour Madras, les trains étaient bondés comme d’habitude en Inde et les voitures étaient très rares à cette époque.
Le réseau de chemin de fer était par contre très développé depuis le XIX ème siècle, héritage des anglais.
Nous effectuons quelques étapes à pied, Bruce avait mit un turban et s’était un peu noirci le visage de plus il avait mis des lunettes de soleil pour cacher ses yeux bleus. Pour ma part j’avais la peau claire mais un type indien bien prononcé, je passais pour une habitante de l’Inde du nord. Le voyage avec Bruce était très agréable, nous avions toujours de quoi manger, Bruce était enchanté de ce voyage, c’était des vacances pour lui et il savait que nulle force de l’ombre ne pouvait l’atteindre.
« Comment es-tu sûr de cela. »
« Et bien Ma Ananda Moyi , est dans la non dualité c’est sa mission, elle est inattaquable car celui qui s’attaque à elle s’attaque aussi à lui-même. Car il n’y a pas de séparation à ce niveau de conscience. Il me dit aussi que certains maîtres d’arts martiaux ont atteint ce stade ou vont bientôt l’atteindre comme un certain Morei Ushiba. »
Mais cela pouvait poser problème dans la vie courante, il est pratiquement impossible d’avoir une compagne ou un compagnon sexuellement parlant bien entendu. On ne peut faire l’amour avec la non dualité sans cela ce n’est plus la non dualité. Ainsi le mari de Ma a reçu de fortes décharges électriques mais ce n’était pas dû à l’électricité statique. Ceci est un autre problème. Il a existé des exceptions notables ou les deux sont dans cet état de conscience comme Rada et Krishna ainsi que Jésus et Marie-Madeleine. Mais par la suite les deux ont été vulnérables.
Une idée un peu folle me traversa la tête. « Fais moi l’amour, de manière à ce que je sois dans cet état du moins provisoirement. »
« Ce n’est pas moi qui fais, mais Cela est d’accord pour te faire connaître cette expérience. »
L’expérience fût assez curieuse, Bruce se servit du regard à un mètre de moi, il me dit de fermer les yeux, puis il utilisa les mains à trente centimètres environ, puis il fît l’amour d’une manière plus classique. Ce ne fût pas une explosion très brève comme d’habitude, mais une montée disons de béatitude où je perdis la notion du temps, de l’espace et je perdis même la notion de mon nom.
« Ananda, tu as mérité ton nom, qu’en penses-tu ? »
J’étais horriblement triste de quitter cet état, je savais que je quitterais Bruce dans trois mois au plus et cela me rendait encore plus triste. Je lui dis aussi que je préférais quand un homme m’arrachait les vêtements puis me couvraient de baisers en me disant que j’étais belle et désirable, enfin qu’il paraisse pressé, mais qu’en réalité il ne le soit pas trop.
«Réaction classique de l’ego qui s’est trouvé délogé, il n’est pas content mais alors pas du tout et il dit c’est de l’illusion, cela ne durera pas, il va t’abandonner ; mais tu sais bien qu’où que tu sois, je te verrais. »
Bruce fabriqua ce qu’il appela « un relais temporel » mot savant pour ce qui n’était que l’empreinte de mon pied gauche dans l’argile.
« Voici, le pied d’Ananda qui symbolise le chemin, il s’appelle également la marche de Shakti vers Shiva, la marche de Rada vers Krishna et pour toi la marche vers l’illumination ou la marche vers la non dualité. »Mon père et moi nous ne sommes qu’un ». Si nous sommes éloignés tu toucheras cette empreinte et je viendrais, pas dans mon corps de chair, mais je viendrais, peut être pas dans la minute suivante, mais je viendrais toi et moi sommes liés à jamais. »
« Sauf si. »
Les mots moururent sur mes lèvres.
« Sauf si l’on m’assassine, mais je viendrais quand même. »
J’avais du mal à me tirer de la toile d’araignée de la tristesse.
Enlève, les toiles de l’ego me disait Bruce, facile à dire. Je regrettais aussi mon mari dont je n’avais pas fait le deuil, mon mari qui arrachait mes vêtements quand il rentrait de mission. Il m’avait beaucoup aimé.
« Tu le retrouveras aussi. »
« Tu ne seras pas jaloux. »
Bruce se tordit de rire.
« Je peux atteindre la non dualité, mais j’ai un travail à faire; comment veux-tu que je sois jaloux cela revient à être jaloux de moi-même ou cela revient à dire que la main gauche est jalouse de la main droite ou que le pied gauche est jaloux du droit alors ils vont se taper dessus et patatras tu tombes par terre et les yeux si le droit est jaloux du gauche tu louches et plouf tu tombes à l’eau. Maitre Khutoumi le grand initié dans les années vingt en Amérique à félicité sa femme car elle avait un amant et il était content qu’elle soit joyeuse. Elle ne s’en est pas remise. »
Bruce mimait le pied qui marchait sur l’autre, il tomba à l’eau réellement en louchant, je me tordais de rire.
« Envolé la tristesse mon amour, elle n’est que brouillard continuons notre chemin ma bien aimée. »
J’étais contente, bientôt nous pénétrons dans le faubourg de Madras je demandais quand Ma Ananda Moyi allait venir, hors personne ne savait quand elle viendrait.
« Nous avons trois jours d’avance je vais te faire quelques pitreries pour passer le temps. »
Bruce s’installa au bord d’un étang et plongea son mouchoir dans l’eau puis recommença au bout de dix minutes je lui demandais ce qu’il faisait.
« Mais je passe le temps comme l’eau dans le mouchoir, passer le temps est aussi voir ce que fait de faire cela. Nous sommes là pour vivre et non pour passer le temps. »
« je vais te passer l’envie de dire des bêtises. » .
J’essayais de le pousser à l’eau mais il s’esquiva et c’est moi qui me retrouvai dans l’étang, il sauta et me rejoignit, pour la première fois je fis l’amour dans l’eau.
Ma Ananda Moyi était née en 1896. Madras en Février 1945 était en effervescence, la sainte arrivait et tout s’arrêtait dans la ville où presque. L’endroit où Ma devait apparaître était un capharnaüm épouvantable, ici régnait des chants, des cris, les odeurs mélangées de riz, de thé, à celle obsédante de l’encens. Quelque chose se préparait, on sentait une tension dans l’air qui paraissait surchargé d’une électricité presque palpable. L’énervement gagnait d’heure en heure.